Le prêtre du diocèse de Rottenburg-Stuttgart, Hubert Wolf, est professeur de théologie catholique en histoire de l’Eglise à l’Université de Münster et aussi connu pour ses nombreuses publications. Son livre, présenté ici, n’est pas un travail de recherche sur le catholicisme au XVIIIe siècle ni sur ce que Bernard Plongeron appelait »l’ Aufklärung catholique« en 1969.1 Il s’agit d’une collection d’essais, que Wolf appelle lui-même les »fragments« ( Fragmente) ou »miniatures« (Miniaturen) (14). L’œuvre en compte neuf, tous publiés et légèrement révisés entre 2005 et 2016. Le prologue et l’épilogue ont tous deux également été publiés, respectivement en 2016 et 2017. Les thèmes des onze parties de l’ouvrage englobent l’histoire de la congrégation papale de l’Index de 1571 et l’Index romain des livres interdits avec des remarques très intéressantes sur le père carmélite Paolo Foscarini et son livre-plaidoyer pour la doctrine copernicienne de 1615, mais aussi sur l’homme politique allemand catholique Ludwig Windthorst (cofondateur du parti Zentrum et membre très important de l’assemblée prussienne, de la Diète du nord et du Reichstag après la proclamation de l’Empire allemand en 1871 et pendant le Kulturkampf). Wolf dépeint »le politicien du Zentrum soi-disant ultramontain«, Windthorst, comme »un catholique éclairé, qui défend l’autonomie politique contre le paternalisme romain« (15; traduction H.K.). En outre, on trouve de précieuses informations sur Matthias Erzberger, homme politique du Zentrum et ministre des Finances au début de la république de Weimar et le nonce apostolique en Bavière et en Allemagne, Eugenio Pacelli, alias Pape Pie XII. Wolf montre que le catholique de gauche Erzberger était un proche confident du nonce et il démontre que ce dernier était extrêmement flexible avec la Constitution du Reich alle|mand de Weimar, bien qu’il ne la considérait en réalité pas légitime en raison de son manque de référence à Dieu.
Le prologue, intitulé »Impossible? L’ Aufklärung catholique« (Unmöglich? Katholische Aufklärung), constitue pour ainsi dire l’éditorial de l’ouvrage. Cette contribution est identique à celle présentée par l’auteur au premier congrès international pour l’étude de la théologie des Lumières (Erster Internationaler Kongress zur Erforschung der Aufklärungstheologie) à l’Université de Münster au printemps 2014, publiée dans les actes de la conférence en 2016. Wolf déclare que les annotations ont été depuis modifiées (239), mais ne mentionne malheureusement pas la nouvelle littérature. Le titre le plus récent qu’il cite date de 2010 et n’est pas une contribution directe au sujet »l’ Aufklärung catholique«. L’ouvrage s’appuie fondamentalement sur l’essai bien connu de Bernhard Schneider, paru dans la »Revue d’histoire ecclésiastique« de 1998. Par ailleurs, Wolf situe son étude sur la tradition du rejet des Lumières dans le catholicisme essentiellement en Allemagne. Ainsi, il cite l’article »Aufklärung« de Heinrich Brück dans le lexique »Wetzer und Welte’s Kirchenlexikon« de 1882, sans faire mention de certains ouvrages de référence, tels que »Die rationalistischen Bestrebungen im katholischen Deutschland« de 1865 et »Lehrbuch der Kirchengeschichte« de 1874 du dernier évêque de Mayence. Il développe en traitant de l’historien catholique de l’église Sebastian Merkle et de la réhabilitation du Siècle des Lumières qu’il fait pendant la conférence du congrès des historiens à Berlin en 1908 (celle-ci est à regret banalement évoquée comme »auf einer Historikertagung in Berlin« (21), autrement dit comme n’importe quelle conférence d’historiens, alors qu’il s’agissait du »IIIème Congrès International des Sciences Historiques«). En outre, il ne mentionne pas que Merkle a été le premier à avoir utilisé le terme katholische Aufklärung, quoique qu’il l’ait fait seulement lors de la publication des actes de cette conférence en 1909. Citant notamment les célèbres historiens de l’Eglise allemands, Eduard Hegel et Georg Schwaiger, Wolf résume la réception de Merkle dans la science catholique jusqu’à la veille du concile Vatican II de la manière suivante: La » Katholische Aufklärung semblait dès lors s’être établie dans l’Église catholique et dans la science catholique comme réalité historique et comme concept de recherche« (22).
Jusqu’ici le lecteur critique peut suivre le professeur de Münster. Il lui est toutefois plus de difficile de comprendre la démarche inquisitoire de Wolf: »Ce consensus est trompeur. La compatibilité entre l’ Aufklärung et le catholicisme a été fondamentalement refusée par certains historiens« (23). Il cite Karl Otmar von Aretin, décédé en 2014, Peter Hersche et l’auteur de cette recension, qu’il dénonce comme dénégateurs »du ›droit fondamental de la patrie‹ de l’ Aufklärung catholique dans l’Église catholique« (24). Cette accusation erronée est le résultat d’une mauvaise connaissance des textes et de l’utilisation hors contexte de leurs propos. Wolf semble mal saisir la distinction entre »l’ Aufklärung catholique« et »les Lumières en Allemagne catholique« que nous avons établie en 1988 ou bien 1993.2 Il convient par ailleurs de préciser ici que »l’Allemagne catholique« signifie la partie géographique de l’Allemagne qui était majoritairement peuplée de catholiques au XVIIIe siècle, alors que »les Lumières en Allemagne catholique« désigne l’effort fourni par les Lumières dans cette partie du pays. Ceux-ci n’avaient aucun assentiment à l’égard de l’Église catholique contrairement à »l’ Aufklärung catholique«, qui lui était pour sa part, absolument favorable et en faisait partie intégrante à partir de la seconde moitié du XVIIIe siècle. Cela ne veut cependant pas dire que ›le droit de la patrie‹ de l’ Aufklärung catholique n’a pas été contesté au sein de l’Église catholique du XIXe siècle, mais il ne le fût certainement pas par Aretin, Hersche ou nous-mêmes dans la seconde moitié du XXe siècle, comme Wolf le prétend.
Par ailleurs, Wolf semble mal appréhender certaines expressions, telles que »phénomène de transition« (Übergangserscheinung) ou »alliance temporaire« (Bündnis auf Zeit), qu’il aborde avec confusion, dans la mesure où ›le droit de la patrie‹ de l’ Aufklärung catholique dans l’Église catholique a été contesté dans le catholicisme du siècle de ultramontanisme et du concile Vatican I. Il ne fait pas plus d’effort pour établir la distinction entre »les Lumières« (Aufklärung) et »l’ Aufklärung catho|lique« (katholische Aufklärung). Il peut donc lui avoir été difficile d’interpréter avec acuité les propos qu’il cite: »Il n’y avait aucun lien entre les Lumières et le catholicisme au sens positif« (Es gab zwischen Aufklärung und Katholizismus keine Verbindung im positiven Sinn).3 Par conséquent, Wolf semble amalgamer un peu hâtivement des historiens comme Aretin, Hersche et l’auteur de ce recension avec les auteurs ultramontains du XIVe siècle (24) (Die ultramontanen Autoren des 19. Jahrhunderts und die hier vorgestellten modernen Historiker sind […] überraschenderweise weitgehend einig). Il en arrive ainsi à une conclusion boiteuse concernant nos travaux: »Il y a certes eu les Lumières en Allemagne catholique, mais ›l’ Aufklärung catholique‹ n’a finalement pas été (un Siècle des) les Lumières, parce qu’il lui manquait des éléments essentielles des Lumières.« (24) (Es gebe zwar Aufklärung im katholischen Deutschland, aber die ›katholische Aufklärung‹ sei letztlich keine Aufklärung gewesen, weil ihr wesentliche Elemente derselben fehlten).
Cependant, il ne s’agit pas là de l’unique problème du livre de Wolf. L’auteur procède aussi à d’autres dénonciations injustifiées contre des chercheurs mencionnés dans les onze parties de son ouvrage. A titre d’exemple, nous pouvons citer le titre de son avant-propos »Fichue lumière« (Verdammtes Licht). Wolf se réfère au poète Christoph Martin Wieland, dont il paraphrase le poème »Die Feinde der Aufklärung« (9) (»Les ennemis des Lumières«). Mais contrairement à la pratique scientifique, il ne fait aucune mention de la source de son inspiration. Néanmoins, il convient de saluer Wolf, qui semble appréhender la discipline de l’histoire de l’Eglise comme »la conscience critique de l’Eglise« (14) (Kirchengeschichte als kritisches Bewusstsein der Kirche) et comme »un éclaircissement toujours renouvelé sur l’Église catholique« (14) (immer neue Aufklärung über die katholische Kirche) dans l’avant-propos. Mais pourquoi l’aborde-t-il de façon si inconséquente? Pourquoi l’histoire de l’Eglise est-elle ici réduite à l’Eglise catholique? Pourquoi ne pas proposer une histoire générale et non confessionnelle du Christianisme? Si on considère l’histoire comme la conscience critique qu’on l’appréhende comme un regard critique, l’étude de la seule histoire de l’Eglise catholique ne peut être perçue que comme dépassée.
L’auteur paraît toutefois comprendre le concile de Trente du XVIe siècle, qu’il analyse comme »un catalyseur de modernisation et de réforme« (46) dans l’article »Ouvert à la lumière? Les diverses options de l’Église catholique« (Offen für Erleuchtung? Die vielfältigen Optionen der katholischen Kirche), et dont il semble prôner »l’ecclésiologie historique« (29) tout en s’opposant à l’idée d’une l’Eglise à jamais immuable dans son prologue. Il en va de même pour son insistance sur »un besoin fondamental de réforme et la capacité de réforme de l’église« (29), dont il donne des exemples. Mais là est sans doute l’une des contradictions les plus déroutantes de l’ouvrage, en ce que Wolf écrit: »Il n’y a pas de ›fichue lumière‹, ni de la raison ni de la révélation« (12), avant d’ajouter quelques lignes plus loin: »L’église doit promouvoir la ›fichue lumière‹ de la raison historique« (12)? Toujours est-il qu’il ne fait aucun doute que la réforme de l’Église catholique n’est pas la tâche de la discipline de l’histoire de l’Eglise.
* Hubert Wolf, Verdammtes Licht. Der Katholizismus und die Aufklärung, Munich: C. H. Beck 2019, 314 p., ISBN 978-3-406-74107-4
1 Bernard Plongeron, Recherches sur »l’Aufklärung catholique« en Europe occidentale (1770–1830), dans: Revue d’histoire moderne et contemporaine 16 (1969) 555–605.
2 Harm Klueting (éd.), Katholische Aufklärung – Aufklärung im katholischen Deutschland, Hamburg 1993.
3 Karl Otmar von Aretin, Katholische Aufklärung im Heiligen Römischen Reich, dans: id., Das Reich, Stuttgart 1986, 403–433, 423; Harm Klueting, »Der Genius der Zeit hat sie unbrauchbar gemacht«, dans: id. (éd.), Katholische Aufklärung – Aufklärung im katholischen Deutschland, Hamburg 1993, 1–35, 9.